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Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena

16 février 2021

 

Le ghetto intérieur

Santiago H. Amigorena

P.O.L

2019

179 pages en poche

 

 

 

« C’est sans doute une des caractéristiques des plus singulières de l’être humain : de même que  le corps lorsqu’on lui inflige trop de souffrance ou lorsqu’il est trop affaibli s’éteint momentanément par l’évanouissement pour pouvoir, comme une simple machine, se rallumer et repartir, l’esprit aussi, lorsque la douleur et l’impuissance sont trop fortes, s’assombrit, s’assourdit, se referme pour survivre ou plutôt pour que quelque chose survive -quelque chose qui est encore humain et qui ne l’est déjà plus, quelque chose qui est encore nous-mêmes et qui n’est déjà plus personne. »

Vicente Rosenberg est arrivé en Argentine en 1928. Sa mère et son frère sont restés à Varsovie, sa sœur s’est exilée en Russie. Lorsque la guerre se déclare, que le ghetto enferme les Juifs, Vicente, étouffé par la culpabilité de n’avoir pas pu, ou pas voulu, faire venir sa famille en Argentine, va se murer peu à peu dans un silence pesant, un ghetto intérieur dans lequel il enfermera aussi sa femme et ses enfants. L’auteur nous conte la descente aux enfers de son grand-père maternel, auparavant léger et gai, avec délicatesse et justesse. Il a parfaitement su se mettre dans la peau de cet homme meurtri, abîmé, honteux, impuissant.

J’ai été happée immédiatement par les phrases de l’auteur, par son style (que certains ont qualifié de plat !!!?), par ses longues phrases qui disent l’indicible. Comment traduire le silence, le silence coupable de ce grand-père si peu et si mal connu ? Santiago H. Amigorena y parvient à merveille. C’est puissant.

L’angle de vue, différent, nous fait entrevoir la shoah avec un œil nouveau, celui de l’homme qui ne l’a pas vécu, qui n’en a rien su pendant les trop longues années de guerre, celui de l’homme qui a fui à temps, mais qui va souffrir toute sa vie de cet exil parce que sa famille va être touchée de plein fouet et qu’il n’aura que les quelques lettres de sa mère, les journaux pour savoir ce qu’il se passe en Europe, journaux qui ne dévoileront que des bribes, qui ne sauront pas alerter le public par manque de certitudes.

Vicente se sent polonais, argentin, Juif, ou rien de tout ça ou de plus en plus Juif pour se sentir (en vain) un peu moins coupable… La question de l’identité est posée avec émotion, elle n’est pas un énième poncif, elle est ressentie au fond des tripes, elle est viscérale.

« Ne pas penser n’est qu’une autre manière de penser » nous dit l’auteur. Vicente ne peut stopper le flux incessant de ses pensées, il est pris au piège de son cerveau, de son esprit. Et l’on comprend parfaitement ce qu’il ressent, nous qui ressassons parfois sans relâche nos petites misères de la vie courante, qui nous empêchent de manger, de dormir, et dont la ronde infernale obstrue notre clairvoyance.

Vous l’avez compris, ce texte m’a bouleversée. Ce n’est pas un coup de cœur, c’est un coup au cœur ! J’ai été émue jusqu’à faire surgir quelques larmes au coin de mes yeux.

Ingannmic, Nicole et bien d’autres ont été touchées aussi.

Ce titre me permet-il de participer au challenge d’Ingannmic et Goran ? L’auteur est argentin mais il écrit en français…

 

48 commentaires
  1. aifelle permalink

    Je suis restée assez exterieure à cette histoire. Plus on avance, moins j’ai compris son attitude vis a vis de sa famille, femme et enfants. Plutôt une deception (je ne peux pas te mettre le lien vers mon billet, suis en panne internet. Je n’ai que mon telephone)

    • Je me souviens de ton commentaire chez Ingannmic et je te répondrais comme elle, que je n’ai jamais jugé les actes du personnage, d’autant plus que l’auteur parle de son grand-père et donc d’une situation vécue. Ce qui est important dans cette histoire c’est la cause du silence…

  2. keisha41 permalink

    Puis je avouer que j’ai abandonné ce roman?^_^

  3. Pas encore lu mais je pense que ce sera ma prochaine écoute audio.

    • Ah en écoute ? c’est vrai que je n’ai jamais expérimenté ce genre de lecture… j’aimerais vraiment avoir ton avis.

      • ça marche, je te dirai! J’adore la lecture audio que j’écoute en voiture pour aller au boulot, si jamais tu veux te lancer, tu peux en emprunter en biblio 😉

  4. Je suis comme Aifelle j’ai aimé mais suis restée à distance même si j’ai aimé l’écriture mais il y avait parfois une incompréhension dans le ressenti du personnage 🤔😉

  5. Oh oui ! Ravie de te lire sur ce texte qui inflige quelques coups, au coeur, à l’estomac… moi aussi je l’ai ressenti dans mes tripes, ce silence plus bouleversant que toutes les paroles. Un texte essentiel pour moi.

  6. Je l’avais noté et tu confirmes que j’ai bien fait.

  7. Les avis sont très partagés, j’attendais cette parution en poche pour tenter.

  8. je l’ai beaucoup aimé aussi, ce livre est toujours présent dans ma tête, un choc
    l’auteur a su trouver la distance qu’il fallait et qu’aurions-nous fait à sa place?
    on espère toujours qu’on aurait été un résistant génial mais c’est loin d’être aussi simple.
    La culpabilité dans laquelle il s’est enfermé en atteste 🙂
    dans un autre style j’ai lu son livre dans la série « une nuit au musée » troublant aussi 🙂

    • Je partage complètement ton avis, c’est tellement facile de juger et de dire « moi j’aurais fait… », bah non, tu n’y étais pas !

  9. C’est intéressant, les avis semblent très tranchés. Mais je tenterai tout de même, en tâchant de trouver le moment adéquat pour le lire.

  10. je tenterai peut-être un jour… ou pas!

  11. Je l’avais trouvé moyen, une fois ma lecture terminée. Mais quelques mois plus tard, je m’en souvenais encore : une lecture qui marque.

  12. Maintenant qu’il est sorti en poche, je n’ai plus aucune raison d’hésiter!

  13. Maintenant qu’il est en poche, plus d’excuse !

  14. luocine permalink

    j’ai beaucoup aimé ce roman . Il m’a touchée au-delà de beaucoup d’autres romans sur le même sujet . Je l’ai lu il y a plus d’un an et je me souviens comme hier de la douleur de ce fils qui n’a pas voulu entendre le danger et l’horreur qui allaient détruire les siens. C’est si facile de refaire le passé surtout quand on ne l’a pas vécu. Bref un grand moment de lecture pour moi.

  15. Avec tout le bien que tu en dis, je ne peux que le prendre en note!

    • Oui, mais tu as vu comme les avis sont très contrastés ? Je ne parierai pas sur le fait que tu l’aimeras… mais j’aimerais bien savoir comment tu le recevrais…

  16. A_girl_from_earth permalink

    Ton enthousiasme est tentant mais les avis semblent tout de même plutôt mitigés.

  17. Merci pour cette jolie découverte!

  18. Bon, ben, je note malgré les réticences dans les commentaires. La thématique du ghetto intérieur est très touchante.

  19. Donc oui, il rentre dans le cadre du mois latino, nous avons ajouté une « catégorie » pour les titres se déroulant en Amérique du sud, mais écrits par des écrivains d’autres nationalités ! Et je suis ravie qu’il t’ait emportée. Je n’ai pas moi non plus compris les bémols exprimés à son sujet, c’est un texte qui bouleverse de manière très subtile.

    • Ceci dit, l’auteur est argentin, même s’il écrit en français… Ce roman m’a toute tourneboulée…

  20. Cela me parait très fort, très touchant merci pour la découverte

  21. Les avis sont partagés mais tu es tentante, alors ;).

  22. Et bien un livre qui ne laisse pas indifférent ! Moi j’aime ce que tu en dis donc je le tenterai !

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