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Rivage de la colère de Caroline Laurent

8 septembre 2020

 

Rivage de la colère

Caroline Laurent

Les escales

Janvier 2020

412 pages

 

 

 

 

« C’est une histoire que me racontait ma mère. Pas un conte pour enfants, ni une fable, non, une histoire vraie, qu’elle grattait de temps en temps comme une vilaine plaie. Une tragédie insulaire. Les mères connaissent les berceuses et les sortilèges. Parfois aussi, d’une lumière dans le regard, d’une fêlure dans la voix, elles se trahissent. L’enfant devine un secret. Perçoit la colère. En grandissant, les contours se précisent, les traits s’affirment jusqu’à devenir parfaitement nets : ce secret, c’est celui d’une souffrance. D’un arrachement. Une fille ne laisse pas sa mère souffrir. Alors elle écrit. »

 

Il y a peu, je ne connaissais pas l’archipel des Chagos. Aujourd’hui, je peux le situer sur la carte et surtout je peux raconter la terrible histoire des Chagossiens, expulsés de leur île par les soldats anglais, sans aucune considération, dans le mépris le plus total. 1968. Date de l’indépendance de Maurice et signature en secret de l’évacuation de l’archipel des Chagos. Vendu aux anglais qui vont eux-mêmes louer l’île de Diego Garcia aux Américains pour qu’ils puissent y établir une base militaire  (là où habitaient la plupart des Chagossiens).

Il y a longtemps que je n’ai plus foi en l’homme. Même si tout cela s’est passé il y a une cinquantaine d’années, il n’en reste pas moins que les faibles seront toujours exploités et méprisés et les forts seront toujours injustes et assoiffés de pouvoir. On en apprend tous les jours sur l’ignominie des hommes, sur les petits accords passés entre États dans le plus grand secret et donc le plus grand silence. C’est révoltant. Que peuvent les peuples contre ça ?

Cette histoire illustre le fait qu’en gardant un peuple dans l’ignorance, on peut en faire ce qu’on veut. On n’explique rien, on fait signer n’importe quoi, on bride l’esprit critique.

Caroline Laurent a réussi le tour de force d’allier la fiction à l’Histoire avec un art maîtrisé. C’est parfaitement documenté, et je me demande si la fiction n’est pas l’arme la plus habile pour dénoncer. On s’attache aux personnages, à leur histoire aussi tragique soit-elle, et on ne peut que s’indigner de ce qui leur arrive.

Les personnages créés par l’auteure ne sont pas que des êtres de papier, ils sont des êtres de sang et de chair parce qu’ils sont les représentants d’un peuple chassé de son territoire. On y croit à fond et on compatit, on est horrifié, on a envie de crier notre impuissance.

Et cerise sur le gâteau, l’écriture est sensible, la construction est subtile, les mots reflètent parfaitement la tragédie, une belle réussite.

 

La lutte est toujours d’actualité. En janvier 2020, Maurice annonce la possibilité de porter plainte contre les responsables britanniques pour crime contre l’humanité, et le 25 mai 2020, une nouvelle carte publiée par l’ONU fait apparaître l’archipel comme territoire Mauricien. Affaire à suivre.

 

 

 

35 commentaires
  1. Delphine Olympe permalink

    Très beau roman, oui, qui allie, comme tu le soulignes, une documentation scrupuleuse à un art consommé du romanesque. Je suis heureuse qu’il t’ait plu !

  2. Cela me promet un beau moment de lecture car il est dans ma PAL….. 🙂

  3. Idem j’ignorais tout des événements qui ont secoué cet archipel. Caroline Laurent est une auteure que j’apprécie énormément et si tu ne l’as pas lu, n’hésite pas à découvrir Et soudain la liberté, tout aussi réussi. 😉

  4. Je n’ai jamais lu cette auteure, mais j’ai dûment noté ce Rivage de la colère pour lequel les avis sont unanimes.

  5. Mais oui, la fiction est un outil redoutable pour aller au-delà de l’information, créer l’identification qui ouvre la voie aux émotions. Ce roman est remarquable, le matériau subtilement transformé en romanesque.

  6. Je pense que nous sommes nombreuses et nombreux à n’avoir jamais entendu parler des îles Chagos ! Et je partage ton avis sur la fiction. « Les misérables » ont certainement plus fait pour comprendre la misère à l’époque de Victor Hugo que n’importe quelle étude sur le sujet.

  7. très beau roman qui m’a fait découvrir aussi Les Chagos et leur histoire que j’ignorais totalement 🙂

  8. Je l’avais repéré pour cette histoire qui m’était également complètement inconnue (mais comme tu l’écris, on en apprend en effet touts les jours sur la capacité à la cruauté de l’homme…). On est loin des clichés îliens paradisiaques (mais comme souvent dans ces îles dédiées au tourisme, qui ont eu à subir la violence de la domination occidentale, et qui parfois la subissent encore, même si c’est manière insidieuse..)

    • Ah oui on est bien loin des clichés sur l’île Maurice ! Personnellement j’ai appris plein de choses sur la colonisation dans ce coin du monde, car, bien sûr, j’ai complété aussi par une recherche documentaire. C’est ainsi que j’ai compris à quel point ce roman était précis et parfaitement documenté.

  9. J’en ai entendu parlé aujourd’hui même et avec le même enthousiasme que le tien.

  10. Repéré aussi. Des fois, plus on en apprend, plus on est découragé de jusqu’où l’homme peut aller.

  11. Patrice permalink

    Très intéressant et malheureusement tragique. Je ne connaissais pas cette histoire ; il est bien que la littérature s’y « attaque »

  12. alexmotamots permalink

    Tu n’as plus foi en l’homme ? Quelle triste nouvelle….

  13. Je la « connaissais » en tant qu’éditrice mais suis curieuse de la découvrir du côté autrice.

  14. Moi, j’en suis persuadée : la fiction est le meilleur moyen de dénoncer ! Et il a des colères nécessaires. Je note ce titre qui semble très fort de part son sujet et aussi sa narration, vu ta dernière phrase.

  15. je l’avais noté, mais toujours pas lu…

  16. Plus je vois ce livre, plus je suis intéressée 🙂

  17. 50 ans… au niveau de l’Histoire, c’était juste hier. je ne connaissais pas du tout cette histoire ni cet archipel et cela m’intéresse vivement de le découvrir. je note !

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