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Là-haut vers le nord de Joseph Boyden

22 Mai 2021

Là-haut vers le Nord, Joseph Boyden, Traduit de l’anglais (Canada) par Hugues Leroy, Albin Michel, 2008, 316 pages


« C’est marrant, les transformations du corps quand on se met à boire. On a beau ne rien manger, pour économiser de quoi se payer sa bouteille, le bide pousse et les joues tombent. »


J’ai eu la main heureuse pour ma participation à Mai en nouvelles ! Ce recueil d’un auteur que je viens juste de découvrir m’a complètement séduite.

Joseph Boyden est la voix des Indiens. La plongée au sein des réserves Cree du Canada ne se fait pas sans douleur. Délinquance, drogue, alcoolisme, misère, le quotidien des hommes et des femmes n’est pas joyeux et pourtant l’auteur arrive à nous attendrir, à nous émouvoir, à glisser quelques sourires au milieu de nos larmes de rage.

Bien sûr, ce que les représentants de la religion catholique ont fait dans les pensionnats est abordé, notamment (mais pas seulement) à travers une nouvelle remarquable, Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire, à la fois tragique et comique. Lorsque le narrateur joue de son tambour dans l’église, le lecteur frémit de tout son être et communie avec les Indiens dans une célébration funèbre extraordinaire. L’écriture magique de cet auteur nous immerge totalement dans un monde pourtant très éloigné du nôtre de telle manière que nous avons l’impression de participer, nous sommes au milieu des Indiens, nous sommes Indiens.

Terribles sont certaines phrases qui font écho à celles déjà lues ou à celles entendues dans le documentaire cité plus bas :

« Sam a le même rêve récurrent que moi. Il me l’a dit un jour. Les marches qui grincent dans la nuit quand le père McKinley monte au dortoir, mes yeux écarquillés de peur qu’il ne me choisisse encore cette nuit. »

Parfois les nouvelles se répondent les unes aux autres, d’ailleurs celles de la dernière partie qui évoquent les membres d’une même famille, forment comme un petit roman. D’un même événement, l’auteur nous propose des approches différentes. Le croisement des regards donne de l’ampleur au message.

La Légende de la Fille Sucre montre de quelle manière les indiens ont été pervertis par la colonisation.

« Les Blancs ont apporté bien des choses aux Indiens. Les fusils, les moteurs hors-bord. La télévision. Le café. Le Kentucky Fried Chicken. Le hockey sur glace. Les jeans extra large, les casquettes de base-ball. Le rock’n roll, la cocaïne. Mais il y a un présent dont on ne parle jamais. »

Certaines paroles, comme celles de Sœur Jane sont tellement justes qu’on ne peut que les adopter :

« N’oubliez pas, Père Jimmy, qu’il n’y a pas si longtemps, ce peuple vivait en autosuffisance. Les jeunes d’ici sont écartelés entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore là ; entre tout ce qui fait leur identité de peuple et tout ce que nous leur demandons de devenir. »

Entre la femme qui tombe amoureuse d’un loup et l’homme qui se transforme en ours ou en corneille, entre celle qui tire les boules du bingo et le groupe féminin punk qui se reforme, l’auteur parvient à croiser spiritualité des traditions ancestrales et réalisme d’un quotidien difficile dans les réserves mais où l’espoir est permis.

Et parfois une lumière, une bouffée d’air, un petit garçon rêve de devenir catcheur et son regard innocent illumine tout à coup ce sombre tableau.

Ce recueil de nouvelles fait écho à l’excellent documentaire Tuer l’indien dans le cœur de l’enfant diffusé sur Arte et participe à mettre en lumière ces peuples malmenés.

Un vrai beau coup de cœur.


Une lecture supplémentaire dans le cadre du challenge d’Electra et Marie-Claude


30 commentaires
  1. keisha41 permalink

    J’ignorais qu’il s’agissait de nouvelles!

  2. J’avais adoré ces nouvelles aussi ! (avis sur Babelio pas sur mon blog)

  3. luocine permalink

    c’est pour moi, un grand auteur depuis « le chemin des âmes » qui m’avait tellement remuée, et offert une belle émotion littéraire.

  4. aifelle permalink

    J’en suis restée au « chemin des âmes », je me demande pourquoi. Je serais très intéressée par ces nouvelles.

  5. j’ai bien envie de tenter ces nouvelles! j’ai beaucoup aimé « Le chemin des âmes » de Joseph Boyden alors pour le plaisir de retrouver sa plume 🙂

  6. Eh bien, tu me donnes sacrément envie de relire cet auteur que j’ai délaissé depuis ma lecture du « Chemin des âmes », à tort visiblement !

  7. Tu arriverais à me faire changer d’avis sur les nouvelles 😁 ( j’ai un excellent souvenir de ma lecture le chemin des âmes…)

  8. J’avais adoré ce recueil, les personnages et aussi la construction d’ensemble. En te lisant, je me rends compte que je me souviens encore de plusieurs de ces histoires tragiques, mais aussi magiques et poignantes. Je note la référence du documentaire. Merci !

  9. flyingelectra permalink

    j’avais adoré ce recueil ! ravie de voir que tu as été aussi emballée, et oui le documentaire est impressionnant de vérité et de tristesse ..

  10. A_girl_from_earth permalink

    Je garde un bon souvenir de Dans le grand cercle du monde mais je ne suis vraiment pas assez nouvelles pour me risquer ici malgré ton enthousiasme.

  11. Tuer l’indien dans le coeur de l’enfant est également le titre d’un roman jeunesse (Kill the indian in the child). Je vais voir si je peux regarder le doc d’Arte en replay.

  12. Ce que j’ai pu l’aimer, ce recueil. Tout Boyden, d’ailleurs.

    Maintenant, tu as envie de découvrir ses romans?

    Dommage pour le documentaire. J’ai cherché, mais impossible de le visionner par ici…

    • C’est parce que j’ai découvert son roman Le chemin des âmes que je n’ai pas hésité à acheter son recueil de nouvelles… Et oui, maintenant, je veux lire les deux autres romans.

  13. Je n’ai jamais lu cet auteur. Mais n’étant ni fan de nouvelles, ni américanophile, je ne pense pas me jeter dessus – malgré tes éloges 😉

  14. Je viens de l’emprunter à la médiathèque ! Je reviendrai lire ton billet ;))

  15. Un auteur que je veux découvrir mais ce sera d’abord avec l’un de ses romans.

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