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L’aveuglement de José Saramago

13 novembre 2020

L’aveuglement

José Saramago

Traduit du portugais par Geneviève Leibrich

Seuil

1997

Version poche 365 pages

 

 

 

« Nous avons fait de nos yeux des sortes de miroirs tournés vers le dedans, avec pour conséquence, très souvent, qu’ils montrent sans réserve ce que nous nous efforçons de nier avec la bouche. »

 

Quelle épreuve !

Vous me direz : quelle idée aussi de lire un livre sur une pandémie en pleine période de Covid ! Et bien figurez-vous que ce roman permet de relativiser. On est loin, très loin, de vivre le cauchemar des personnages de ce livre. Et heureusement !

J’ai avalé les pages avec avidité et dégoût, avec intérêt et horreur, avec passion et terreur. En deux mots : une épidémie se répand à une vitesse fulgurante, ceux qui en sont atteints deviennent aveugles. Pas pratique, n’est-ce pas ? Imaginez-vous ne plus voir d’une minute à l’autre. Vous êtes au volant de votre voiture et paf ! plus rien, le noir total ! Ah non, pas exactement, ce n’est pas le noir mais plutôt le blanc total.

Et pour ajouter un peu de piment à l’affaire, le gouvernement va mettre en quarantaine les aveugles afin qu’ils ne contaminent pas les autres. Ce sera peine perdue, d’ailleurs… Quoi ? Un confinement qui ne sert à rien ? Oh, oh… bizarre… Il faut dire que dans ce cas, la contagion est tellement rapide qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Et ouf ! C’est de la fiction !

Et là, l’auteur va décrire avec fougue les multiples réactions de ces hommes et de ces femmes enfermées contre leur volonté, leurs interactions, et bien sûr, la part sombre de l’Homme va surgir, terrible, honteuse, jusqu’à donner la nausée. Et l’on ne s’étonne pas parce qu’on sait bien que l’Homme est loin d’être un agneau innocent, la part sombre et perverse qu’il a en lui ne demande qu’à surgir dès que l’occasion se présente. L’Homme n’est plus homme, il n’est plus que bête.

J’ai eu l’impression de vivre dans la saleté, la crasse, la merde, les odeurs nauséabondes en permanence. Bah oui, que faire lorsqu’il n’y a plus d’eau à disposition ? L’auteur est fort, très fort ! Lorsque je reposais le livre pour souffler un peu et respirer l’air pur dans mon jardin aux belles couleurs vertes et jaunes, j’avais l’impression d’avoir réellement vécu les événements, j’étais enfermée avec les personnages, je tâtonnais comme eux, et surtout j’ai extrêmement bien visualisé certaines scènes à la limite du supportable.

Je n’en dirai pas davantage, je ne veux pas vous dégoûter mais au contraire saluer le talent de l’auteur qui grâce à un style très particulier parvient à nous immerger totalement dans le monde qu’il a créé comme si nous étions au cinéma. D’ailleurs à ce propos, ce roman a été adapté au cinéma et bien sûr… j’ai trouvé le film !

« La voix est la vue de celui qui ne voit pas ».

Ce roman délivre aussi un message philosophique assez intéressant : ne sommes-nous pas aveugles, nous, les voyants ? Nous pensons savoir, comprendre, parce que nous voyons, mais qu’en est-il réellement ? Est-ce qu’on ne nous rend pas aveugles ? Ne nous aveuglons-nous pas nous-mêmes ? Qu’est-ce que voir ?

Le style, quant à lui, est inimitable. Comment le définir au plus juste ? José Saramago décrit et commente, il parsème son texte de réflexions, de remarques, qui le rendent réel, vivant, bien vivant. Ses phrases sont longues, pleines de virgules qui permettent les apartés. J’ai été un peu gênée au début par la mise en forme des dialogues, entre les virgules, avec juste la majuscule pour repérer le changement de locuteur. Mais ces dialogues insérés dans la narration, donnent au texte le souffle si particulier et si nécessaire à sa démonstration.

Ce roman prouve, s’il en est besoin, que José Saramago est un grand auteur qui peut redonner la vue à ceux qui l’auraient perdue.

 

Grâce à ce roman, je participe (enfin !) au challenge d’Antigone puisque j’ai sorti ce livre de ma PAL.

39 commentaires
  1. Je l’ai cherché pendant des mois partout mais en rupture de stock et je viens de voir qu’il était à la bibliothèque….. Donc une prochaine lecture 🙂

  2. Qu’est-ce que j’ai aimé ce bouquin….

  3. je me damnerais pour ce roman… j’exagère à peine mais quand je dis qu’il entre dans mon top 5 des meilleurs bouquins lus, je n’exagère plus ! Et quel style, oui, il faut un peu de temps pour l’apprivoiser mais c’est bluffant.

  4. non seulement il est dans ma PAL depuis très longtemps, mais en plus il me nargue dans ma bibliothèque en illustre compagnie de « Le livre de l’intranquillité » de Pessoa et de « fictions » de Borges je voulais le lire cet été mais par eu le courage… Quand le ciel sera plus serein 🙂

  5. il mérite qu’on s’accroche a priori! Je vais regarder dans le catalogue de la bibli à tout hasard!

  6. Une lecture qui n’est donc pas de tout repos. Je pense que je ne suis pas tout à fait prête.

  7. keisha41 permalink

    Un livre que j’ai (j’avais?) l(intention de lire… J’ai déjà eu un aperçu du style de l’auteur, avec un autre roman (non terminé, d’ailleurs)(lequel?)

  8. Eh bien! Ton enthousiasme donne envie de le découvrir!

  9. J’avais adoré ce roman, avec lequel j’ai découvert Saramago. J’ai ensuite été déçue par Les intermittences de la mort, puis L’année de la mort de Ricardo Reis a été un coup de cœur absolu !! Le prochain sera Histoire de Lisbonne..

    • Alors, moi, j’ai commencé avec Les intermittences de la mort que j’ai beaucoup aimé. Je note Histoire de Lisbonne !

  10. Comme Ingannmic, j’ai découvert l’auteur avec ce roman que j’ai adoré. Un de mes romans préférés de tous les temps ! Contrairement à ma copine-blogueuse, j’ai beaucoup aimé aussi Les intermittences de la mort ! (ah, et j’ai L’histoire du siège de Lisbonne dans mes étagères, à lire, aussi… 😉

  11. Je n’ai lu qu’un titre de cet auteur, une histoire d’éléphant plutôt drôle, et si l’histoire ne m’avait pas marquée plus que cela, j’avais adoré l’écriture. Très envie de lire ce titre, très déçue qu’il ne soit trouvable qu’en occasion vu que c’est tout fermé en ce moment. Je vais voir pour les autres titres mentionnés en commentaire.

    • Le voyage de l’éléphant ? Cet auteur a vraiment une écriture particulière à laquelle on adhère ou pas, mais qui marque.

  12. luocine permalink

    un roman qui visiblement a marqué celles qui l’ont lu.

  13. whouah ! ça a l’air d’être le genre de bouquin qu’on traverse un peu en apnée !! je note mais… pas pour le moment, je suis trop stressée !

  14. Désolée, mais pas du tout envie de lire ceci en cette période actuelle, où j’ai déjà la nausée devant le comportement de certains français alors que pour l’instant, nous avons encore notre confort quotidien pour la plupart.

  15. Tant mieux si ça permet de relativiser, on en a bien besoin en ce moment !

  16. Tout comme Ingannmmic « J’avais adoré ce roman, avec lequel j’ai découvert Saramago. »

  17. A_girl_from_earth permalink

    Ce livre a fait de José Saramago un de mes auteurs chouchou ! J’en garde encore un souvenir fort alors que je l’ai lu il y a presque 20 ans maintenant.

  18. As-tu vu le film ?
    Récemment j’ai vu Bird Box de Susanne Bier et il m’a fait un peu (re)penser à Blindness.

    • J’ai vu le film très récemment et je n’ai pas aimé. Il ne met pas du tout en valeur ce qui est extraordinaire dans le livre, à savoir, l’écriture. Et puis je n’ai pas aimé le parti pris de filmer en très gros plans. Et l’histoire est décevante ainsi filmée. Bref ! J’ai été déçue et je vais garder en mémoire ce fabuleux roman.

  19. Quelle idée oui ! Mais une chouette sortie de PAL (malgré la crasse) alors tant mieux finalement, tu as bien fait. 😉

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